L. Steiner (dir.): Aux sources du Moyen Âge

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Title
Aux sources du Moyen Âge. Entre Alpes et Jura de 350 à l’an 1000.


Editor(s)
Steiner, Lucie
Published
Gollion 2019: Infolio
Extent
286 S.
by
Franzé Barbara

Le livre, dirigé par Lucie Steiner avec la collaboration de Justin Favrod et de nombreux spécialistes, accompagne l’exposition présentée à Sion, puis à Lausanne en 2019-2020. Dans le sillage de collaborations précédentes entre les deux institutions, le Musée d’histoire du Valais et le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire de Lausanne poursuivent ici une double intention, offrir une synthèse des connaissances de la période, entre les Alpes et le Jura, et le rendre accessible à un large public. A cet effet le comité de rédaction a sollicité l’intervention des spécialistes les plus informés du domaine, historiens, archéologues, historiens de l’art, paléographes, confiant par ailleurs à Cecilia Bozzoli le soin de restituer, par le dessin, le quotidien des hommes de l’époque.

En toute logique il s’agissait d’abord de délimiter la zone géographique concernée, et d’éclairer le lecteur sur la notion historique du « Haut Moyen Âge » (Justin Favrod, p. 15-37). Le premier des trois moments du long Moyen Âge est ainsi entendu comme une période de transition, entre un Empire romain finissant et sa restauration, au moins partielle, par les Francs (v. 350 – v. 1000). C’est au cours de la période qu’apparaissent de nouvelles entités territoriales, dont le royaume burgonde. Fondé vers le milieu du Ve siècle, ce royaume s’étendait du Valais à Nevers, et d’Avignon à Langres, recouvrant ainsi le territoire entre Alpes et Jura retenu par l’ouvrage. L’histoire du haut Moyen Âge est donc politique, mais aussi religieuse puisqu’elle voit le christianisme romain s’imposer, dès 500, auprès des peuples francs et burgondes.

Après cette brève, mais utile introduction historique, l’ouvrage se déploie en cinq chapitres: l’habitat (p. 39-84), le système économique révélé par les voies de communication et les lieux de production (p. 85-138), la religion (p. 139-214), l’écriture comme indice culturel (p. 215-244), enfin les pratiques funéraires (p. 245-279). Ainsi réunies, ces parties dressent un tableau qui aide à mieux connaître les hommes de ce temps.

Chaque thématique est illustrée d’exemples significatifs de la période et du lieu, des monuments et des objets découverts en fouilles, ainsi que des manuscrits conservés dans les archives. Dans la partie réservée à l’habitat, Clément Hervé et Jacques Monnier s’intéressent tour à tour aux villes, aux agglomérations secondaires et aux campagnes, relevant les mutations topographiques qui eurent un effet durable sur la formation de nos villes: Genève, Sion et Lausanne, choisies pour accueillir le siège épiscopal, supplantent progressivement les cités romaines de Nyon, Martigny (dès le VIe s.) et Avenches. La toponymie, l’étude de la formation des noms de lieux, vient compléter l’apport du patrimoine matériel.

Le chapitre sur l’économie, confié à Marc-André Haldimann et Lucie Steiner, met en évidence un système plus autonome que ce que démontre l’Antiquité tardive, avec une utilisation accrue des ressources naturelles et leur transformation in situ. Même si moins empruntées, les voies de communication anciennes, fluviales et carrossables, qui relient les différentes parties du territoire sont maintenues, de même que les voies qui joignent nos régions à l’Asie et à la Baltique; c’est ce dont témoigne la circulation des objets liturgiques et précieux, des monnaies et des manuscrits.

Dès le début du chapitre dédié à la religion, Justin Favrod relève, pour nos régions (comme en Gaule, mais contrairement à ce qui se passe ailleurs dans l’ancien Empire), un processus de christianisation à la fois tardif (fin IVe-déb. Ve s.) et rapide, et sa diffusion du sommet à la base de la société. C’est ce que démontrent les sources écrites ainsi que les monuments et objets découverts en fouille, même si des croyances « païennes » semblent avoir subsisté. L’évangélisation des populations est assurée par les moines, installés à Romainmôtier dès 450, à Agaune en 515, Baulmes et Moutier-Grandval au VIIe siècle et enfin Payerne, affiliée à Cluny, vers 960. Désormais l’Eglise romaine domine un territoire ramifié par les réseaux paroissiaux et monastiques, à la fois spirituellement et économiquement. C’est pour elle que des édifices ont été construits, découverts en fouille ou révélés par les études de bâti, pour elle que les reliquaires et objets de culte, ainsi que les décors monumentaux ont été réalisés, vitraux, stucs et sculptures.

Justin Favrod revient ensuite sur l’organisation sociale des premiers chrétiens. Celle-ci est à la fois tripartite, composée du clergé, des producteurs et des hommes de guerre, et bipartite, distinguant les religieux des laïcs. Les catégories sociales sont toutes représentées dans les tombes, repérables par les objets et vêtements accompagnant les défunts, de même que par l’organisation cimétériale: celle-ci met en évidence des statuts plus ou moins privilégiés, selon la proximité ou l’éloignement des tombes aux corps saints. Comme les fouilles des cimetières de la Tour-de-Peiz et de Sion-Sous-le-Scex l’ont démontré, deux autres catégorisations s’imposent encore, distinguant les femmes des hommes d’une part, les adultes des enfants d’autre part. Les tombes et leur contenu révèlent également la culture et les origines ethniques des défunts. La nécropole de Saint-Sulpice, ici présentée par Lucie Steiner, est exemplaire du processus d’adaptation des populations entre les Ve et VIIe siècles, lié à l’installation successive des burgondes et des Francs. L’auteure prolonge ses réflexions sur les pratiques funéraires du haut Moyen Âge dans le dernier chapitre de l’ouvrage, et cela à partir d’exemples concrets : Yverdon, la Tour-de-Peiz, Saint-Laurent de Genève, Ludovic Bender s’occupant du cimetière valaisan de Plan-Conthey. L’importance de ces pratiques pour la compréhension des croyances et des cultures des hommes de ce temps justifient la place qui leur est ici accordée.

Comme nous le rappelle Eric Chevalley dans l’avant-dernier chapitre de l’ouvrage, la préservation et la diffusion du savoir est de la compétence du moine. Au début du Moyen Âge, contrairement aux idées reçues, la région entre Alpes et Jura a été très active dans la production littéraire : l’écriture servait de support à la prédication. A cet effet, il s’agit surtout de composer des Passions et vies de saints, comme le font les évêques Eucher de Lyon et Avit de Vienne, ainsi que des exégèses, des explications des Ecritures. De cette période nous connaissons également une abondante documentation historique et administrative. Tout cela démontre « que le recours à l’écrit et à la littérature était resté vivant dans une période dont on a tendance à souligner les signes de repli. » (p. 226). A partir du VIIe siècle, si la production littéraire ne disparaît pas dans nos régions, elle a tendance à se tarir pour se déplacer vers la cour impériale et les grandes abbayes du nord de la Gaule. L’auteur rappelle ensuite, de manière fort utile, les modalités de production et de diffusion de l’écrit. Le chapitre se termine par des extraits de documents des VIe-VIIIe siècles, accompagnés de leur commentaire. Enfin, Lucie Steiner nous rappelle à très juste titre que l’écriture n’était pas seulement peinte sur parchemin, mais aussi gravée sur des objets.

L’ouvrage « Aux sources du Moyen Âge » est à la fois beau et utile. Beau par son graphisme et la qualité des images, ainsi que par ses illustrations qui, si elles rendent la lecture agréable à tous, ne déroge pas aux contraintes de la précision scientifique. Utile, l’ouvrage l’est à plus d’un titre. D’abord, parce qu’il propose une synthèse bienvenue de l’état de la recherche sur nos questions, jusqu’à présent dispersée dans des études ponctuelles. Ensuite, parce qu’il donne un nouvel éclairage sur une période largement méconnue, amenant à reconsidérer à sa juste valeur plus de cinq siècles d’histoire longtemps jugés transitoires et donc, historiquement négligeables. Il faut encore saluer l’approche résolument transterritoriale de l’ouvrage et de l’exposition qu’il accompagne, rompant ainsi avec la tendance, longtemps observée par l’historiographie, à la régionalisation et à l’isolement territorial. Augmenté de références bibliographiques exhaustives, l’ouvrage servira aux recherches futures.

Enfin, ce livre fait oeuvre d’histoire lorsqu’il souligne combien notre temps est redevable de ce passé. Celui-ci n’est plus si lointain : il est la « source » du Moyen Âge et de notre histoire, et devient le miroir de notre actualité lorsque ses problématiques rencontrent les nôtres.

Zitierweise:
Franzé, Barbara: Rezension zu: Steiner, Lucie (dir.), avec la collab. de Favrod, Justin: Aux sources du Moyen Âge : entre Alpes et Jura de 350 à l’an 1000, Gollion 2019. Zuerst erschienen in: Revue historique neuchâteloise, Vol. 1, 2020. Online: <https://svha-vd.ch/cr5-lucie-steiner-justin-favrod-aux-sources-du-moyen-age-entre-alpes-et-jura-de-350-a-lan-1000/>

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